L'école fantôme de Christian Boltanski
Tableaux modernes dans une abbaye cistercienne

 

 

Parce qu'il faut, chaque année, décrocher des murs de Plieux la collection des tableaux qui s'y trouve d'habitude et parce que cette suite d'oeuvres pour la plupart prêtées par leurs auteurs est abondante et cohérente, Renaud Camus a souhaité qu'elle soit accrochée cet été dans l'un des monuments les plus remarquables de la région, l'abbaye cistercienne de Flaran. Non sans affronter l'indifférence et la suspicion d'élus pour la plupart peu sensibles litote à l'art d'aujourd'hui, il y a réussi, quoique pour une durée trop brève.

Le sommaire est brillant : Tapiès, Kounellis, Michaux, Leroy, Caro, Alechinsky, Appel, Rebeyrolle, Serra, Albers et, moins illustres, Frederic Mathys Thursz ou Jean-Paul Marcheschi. L'endroit n'est pas moins remarquable : l'église romane, son cloître, les bâtiments conventuels, tous nettoyés et restaurés après avoir enduré des décennies d'ignorance et de dégradation l'abbaye n'était plus que chais, hangars et granges. De tels lieux ne se prêtent pas sans réticence à l'accrochage de peintures : il faut régler d'innombrables questions de format, de lumière, de mise en perspective. Il faut faire alliance avec l'architecture, dessinée à d'autres fins, ou choisir de la contrarier ; ou alterner ces deux partis. C'est le cas ici, avec des bonheurs inégaux. Les grandes toiles funèbres et très dépouillées de Tapiès et de Thursz, les sculptures puissantes de Caro et de Kounellis s'entendent bien avec la pierre claire et l'arc roman. Le noir et l'ocre font de beaux contrastes et l'inspiration sacrée unit ces oeuvres si éloignées dans le temps. Les Alechinsky sont moins à l'aise dans les chapelles et les Michaux dans un salon XVIIIe . Mais, de tous, ce sont Leroy et Marcheschi qui s'imposent le plus nettement, le premier grâce à Au dehors, petite toile très dense, le second par ses dessins à la cire et à la suie, expressifs sans grandiloquence.

 

Philippe Dagen

Le Monde, 24 Août 1997